Crises 2009, quel bilan ?
Par Thierry Libaert et Christophe Roux-Dufort
L’année 2009 n’aura bien sûr pas fait exception. Elle aura
apporté son cortège habituel de crises se succédant dans
l’actualité. Celles-ci s’accélèrent, se banalisent et la mémoire
des crises passées se dissipe tant le traitement médiatique les
condamnent souvent à une succession de déferlement et
d’enfouissement quasi immédiat. Derrière leur accélération, les
crises changent de visage et chacune laisse ses enseignements qui
lui sont propres.
Le crash le 1er juin de l’Airbus AF 447 qui effectuait
la liaison Rio de Janeiro – Paris a mis en évidence l’impératif de
réactivité des autorités, la nécessité d’une cohérence de discours
entre le constructeur (Airbus) et la compagnie aérienne,
l’exigence d’un traitement spécifique des familles des victimes et
le recours désormais systématique aux équipes de psychologues lors
de ce type de catastrophe.
La révélation au printemps des bonus accordés aux
traders malgré les aides de l’Etat et la responsabilité des
banques dans la récession actuelle a choqué l’opinion. Il était
singulier d’observer le lien entre le capital réputationnel de
l’institution bancaire et le trouble dans l’opinion. Encore
pénalisée par l’affaire Kerviel, la Société Générale est ainsi
devenue le bouc émissaire des bonus incontrôlés, alors que BNP
Paribas, qui en distribuait proportionnellement davantage, pouvait
rester en dehors de toute polémique.
La série de suicides chez France Telecom a mis en
évidence à la rentrée 2009 la distanciation désormais massive
entre les salariés et leur employeur. En dehors de principes de
détournement bien établis comme la protection de la marque Orange
au détriment de France Telecom, le recours usuel au bouc
émissaire, le numéro deux de l’entreprise, on a senti un
management désemparé sur la conduite à tenir qu’a cristallisé le
dérapage verbal du PDG Didier Lombard parlant de la « mode du
suicide ». Malgré tous les médias training de communication de
crise, on sent nos dirigeants souvent en position délicate durant
ces périodes extrêmes où la place du facteur humain explose
comparativement aux processus managériaux classiques.
La grippe A aura témoigné de l’imprévisibilité
croissante des crises et de leur nouveau visage protéiforme et
mutant. Jamais en France, une crise potentielle n’aura soulevé
autant de débat et jamais l’incertitude n’aura été aussi forte
dans le milieu scientifique sur ses effets et les moyens d’y
remédier. Cette crise préfigure les crises du futur, non seulement
elles seront indétectables dans leur émergence, mais également
imprévisibles dans leurs conséquences.
Les problèmes rencontrés le week-end du 19 décembre par les
passagers des Eurostar bloqués durant près de 14 heures sur le
trajet Paris-Londres illustrent, comme pour les sondes de
l’Airbus, le décalage entre une demande de causalité simple et
immédiate, et les incertitudes techniques de systèmes complexes.
Après l’affaire Cofiroute en janvier 2003 où plusieurs milliers
d’automobilistes furent bloqués sur les autoroutes suite à une
tempête de neige, on ne peut que conseiller aux entreprises de
transport, premières concernées par le dérèglement climatique,
d’être vigilantes sur leur gestion de crise. Si le discours
médiatique de l’entreprise semble avoir été travaillé « On
s’excuse, on indemnise et on s’engage », la vision de centaines de
passagers furieux de n’avoir reçu aucune information produit un
dommageable contraste.
Bien d’autres crises sont apparues comme la découverte
d’une grave irrégularité de Renault au grand prix de formule 1 de
Singapour, alors même que celle de Thierry Henry était pardonnée
par l’opinion, ou la montée des phénomènes de violence des
salariés envers leur entreprise. Les crises s’accélèrent jusqu’à
se banaliser et à rendre de plus en plus imprécise la frontière
entre la crise et la période difficile que l’opinion oubliera.
A l’image d’un hologramme chaque crise locale contient la
crise globale. Elles apparaissent comme des pics de fièvre
dans un corps malade, manifestation aigue de maux profonds qui
déconcertent nos sociétés depuis bien longtemps. Quel rapport y
a-t-il entre toutes ces crises ? Rien si ce n’est l’évanouissement
de repères qui jusqu’alors avaient structuré, ordonné et protégé
les équilibres de nos sociétés. France Telecom n’est qu’un exemple
extrême et médiatisé d’un éclatement complet de la relation
salariale protectrice et productrice de sens pour chacun. Le
besoin d’appartenance et de sécurité que le travail devrait
contribuer à fournir n’a plus lieu. Il apporte au contraire de
nouvelles sources d’incertitude et de précarité contraire à sa
vocation intégratrice. Air France, Airbus et Eurostar sont
l’incarnation d’un éclatement du besoin de sécurité et de
fiabilité admirablement produit par la technologie et du sentiment
douillet du toujours là, toujours fiable qu’elle produit bien
souvent. Quand la technologie ne répond plus présente, que
reste-t-il à une société qui la vénère comme une source
inépuisable de bienfaits ? Lorsque toutes ces sources de
réassurance et de protection s’effondrent, il existe un ultime
recours, une ultime source de protection des populations. Celui
que l’on invoque dès lors qu’un danger se profil : l’Etat. Mais là
encore malgré le déploiement monumental de moyens dont il a fait
preuve pour contrer l’effondrement financier ou protéger les
populations d’une pandémie tant redoutée, l’affaire des bonus et
la grippe A ont témoigné de nouvelles sources d’incertitude
insupportables que l’Etat et la Science peuvent de moins en moins
endiguer. La crise de la grippe A n’est pas tant l’apparition et
le développement d’un virus que l’irruption d’une angoisse
profondément ancrée que nous ne sommes pas plus forts qu’un virus
saisonnier infiniment petit et invisible. L’étonnante mobilisation
de ressources pour nous préparer à cette pandémie témoigne de
l’affolement et de la fragilité avec laquelle nous et nos
dirigeants abordons le présent et l’avenir. L’affaire des bonus
consomme le divorce pourtant déjà bien avancé entre l’Etat et les
citoyens. L’Etat providence n’est plus. Mais alors d’où
viendra-t-elle cette Providence tant attendue qui guérira nos maux
devenus semble t-il incurables ?
Les crises ont cette vocation fondamentale à remettre en
question nos modes de fonctionnement traditionnel les plus ancrés.
Alors l’année 2010 sera-t-elle peut-être l’occasion d’en prendre
la mesure ? Car nous agissons encore aujourd’hui comme si nous y
restions fondamentalement dépendants. Faudra-t-il d’autres crises
ou d’autres répliques de la crise actuelle pour que nous
finissions par comprendre que de nouveaux équilibres solidaires et
durables sont à imaginer et à mettre en place ?
Thierry Libaert est professeur à l’Université catholique de
Louvain. Directeur scientifique de l’Observatoire international
des Crises, il a publié La communication de crise, Dunod, 2ème
édition 2005.
Christophe Roux-Dufort est professeur à l’EM Lyon, il est
l’auteur de « gérer et décider en situation de crise » (Dunod,
2ème édition 2004). Il est Directeur des Relations Internationales
de de l’Observatoire international des Crises.
Magazine de la communication de crise et sensible.
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