Peut-on encore ouvrir sereinement son réfrigérateur ? Penser
à l’avenir sans craindre pour son emploi ? Prendre sa voiture sans
se sentir coupable ? Laisser ses enfants aller à l’école à pied
sans inquiétude ? Penser le monde dans lequel vivront nos enfants
sans l’imaginer incertain, dangereux, dénaturé, pollué, toxique,
corrompu, asocial ? Comment entrevoyons-nous toute initiative
politique ou industrielle sinon avec suspicion ? Le risque semble
plus présent que jamais, multiple, complexe, mondialisé, insaisissable
et incontrôlable. Notre société est malade du risque. De nouvelles
peurs et une angoisse diffuse naissent d’un paysage à 360°
constitué de risques réels, de « risques- prétextes » et des
dangereux de « risques-chimères ».
La fin de la modernité
Le XXe siècle a vu des avancées technologiques, scientifiques
et sociales sans précédents dans l’histoire de l’humanité. Elles
ont permis à l’homme de s’affranchir de nombres des contraintes
imposées par la nature, améliorant considérablement sa sécurité.
Ces avancés sont à l’origine d’une croyance : le progrès. Nous
allions maîtriser les éléments, nous affranchir de la faim,
soigner toutes les maladies, pouvoir voyager jusqu’à la lune,
trouver des solutions à tous les problèmes. Géopolitiquement, un
nouvel ordre mondial devait voir le jour : la démocratie
s’imposera, un « droit d’ingérence humanitaire » fera force de
loi, des tribunaux internationaux condamneront les barbares.
Socialement, la mise en commun des ressources devait permettre à
tous de bénéficier de ces avancés : éducation, sécurité sociale,
logement, travail. Les énormes gains de productivité de
l’industrie devaient nous laisser plus de temps libre tout en permettant
à chacun d’avoir plus de biens de consommation. Trahison. Pendant
plus d’un siècle, la modernité à générée des attentes et des
croyances, les nouvelles peurs sont issues de l’énorme différence
entre nos espoirs et une réalité révélée après la chute du mur de
Berlin.
Aujourd’hui le monde occidental donne le sentiment confus
d’avoir décidé d’en finir avec le progrès, d’être dans une période
charnière et incertaine, source d’une nouvelle peur pour
l’occident : la fin de la modernité et la vacuité du sens.
L’espoir a laissé place à la peur et nous bâtissons des bastions
destinés à nous protéger de l’avenir : défense des droits de
l’homme, de l’emploi, du droit du travail, des jours fériés, de la
sécurité sociale, des retraites, du logement, du pouvoir d’achat,
de la nature, de la liberté d’expression, de l’éducation, de la
démocratie. La route du progrès est barrée, la modernité devient
synonyme de rentabilité, de dissensions sociales, géographiques,
de pollution. Chaque avancée, autrefois entrevue comme un espoir,
est maintenant perçue sous l’œil de la suspicion. Notre première
peur est celle de l’avenir : la société ressemble à la condition
humaine, à l’inéluctable, l’avenir semble nous conduire à la mort
dans une longue agonie à laquelle nous tentons d’échapper. Nous ne
croyons plus à la modernité, son moteur s’est emballé, elle nous
échappe, représente un danger, s’empêtre dans un seul mot d’ordre
qui ne soulève ni espoir, ni rêve, ni envie et ampute notre
cerveau gauche : la toute puissante efficacité financière.
L’économie de la terreur
En réalité la cartographie des risques économiques est
torturée. Il existe dans notre pays des disparités extrêmes. Le
risque économique est inégal selon l’âge, la formation, les zones
géographiques, les secteurs de production et la taille des
entreprises. Nous sommes dans une société ou le transfert du
risque du haut vers le bas de l’échelle est omniprésent. Lorsque
le libéralisme décomplexé pactise avec la Chine communiste,
totalitaire et corrompue, lorsque de façon systématique les
actions d’une entreprise qui licencie grimpent en flèche, lorsque
des fusions et acquisitions sont présentées comme autant de
victoires alors qu’elles sont généralement accompagnées de plan
sociaux, la terreur économique s’installe.
Pour les entreprises, déchirées entre le profit et les
promesses de la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale),
la communication devient d’une importance extrême : elle a pour
rôle d’expliquer le grand écart entre profit et éthique, entre
modernité et risques.
Du « risque-prétexte » au « risque-chimère », source de
pouvoir
L’angoisse, qu’il faut distinguer de la peur et de l’inquiétude
en est le prolongement aliénant. La peur s’efface lorsque l’objet
qui en est à l’origine disparaît. Il n’en est pas de même pour
l’angoisse. L’angoisse peut surgir d’une accumulation
d’inquiétudes, d’un seul obstacle difficile à franchir tout comme
de facteurs irrationnels, voir cliniques, particulièrement
résistants à l’argumentation. L’angoisse s’entretient de
l’imaginaire. C’est sur l’imaginaire que se construit aujourd’hui
tout un pan de la communication politique, des entreprises comme
des ONG. Le débat ou plutôt l’absence de débat sur les OGM est
l’archétype de la communication risques contre risques, peurs
contre peurs dans la société. « Comment garder une expertise,
et donc une crédibilité dans ce secteur, alors que 40% des essais
OGM en plein champ ont été détruits sauvagement et illégalement
cette année ? En écartant délibérément ces alternatives modernes,
la France court le risque d’être à la traîne du reste du monde, et
de s’enfermer dans une « exception agricole française ». Il
sera alors bien difficile d’assurer notre indépendance
alimentaire. La compétitivité de l’agriculture française ne sera
alors plus qu’un souvenir.» Cet extrait du numéro 10 de « Plantes
Transgéniques », signé par Jean Proriol, député de la Haute-Loire,
est une démonstration de la communication fondée sur l’angoisse.
Dans le camp des anti-OGM, nous retrouvons des propos du même
ordre dans lesquels l’angoisse est le principal moteur de la
communication. Le « risque-prétexte » est un puissant moyen de
contrôle de populations parce qu’il agit sur l’imaginaire,
l’instinct et permet de créer de toute pièce de dangereux «
risques-chimères ». Perçus comme une réalité, les «
risques-chimères » résistent d’autant plus à toute contre
argumentation qu’ils constituent des croyances.
Face à ces croyances et à l’imaginaire, la communication de
crise reste un exercice périlleux, c’est probablement pourquoi
elle évolue vers la communication sensible, plus subtile, plus en
amont.
C’est dans ce paysage de la peur, d’une société malade du
risque que la responsabilité des communicants devient une réalité
et plaide pour une communication responsable… quitte à prendre des
risques !
Didier Heiderich
Président de l'Observatoire International des Crises.
www.observatoire-crises.org
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
En complément :
La communication sensible dans la société de la peur et du risque
Didier Heiderich - Document sonore extrait d'une conférence.
MP3 - 2,5 Mo - 10 min
http://www.communication-sensible.com
/download/audio-societe-de-la-peur.php
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